Risque Psychosocial : d’où vient ce concept ?

  Il faut remonter aux années 1980 pour voir apparaître ce terme jusqu’à lors inconnu. En réalité il fut inventé par certains employeurs (notamment EDF) pour faire oublier que le véritable risque était celui des organisations du travail et mettre en avant une supposée fragilité psychologique des victimes dans la survenue de la souffrance au travail. On voit ensuite apparaître ce terme « officiellement » dans la circulaire N° 6 du 18 avril 2002 de la Direction des Relations du travail, prise pour l’application du décret n°2001-1016 portant création du Document Unique relatif à l’Evaluation des Risques pour la santé et la sécurité des travailleurs où il y est dit que : « Il convient de préciser que la combinaison de facteurs liés à l’organisation du travail dans l’entreprise est susceptible de porter atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs, bien qu’ils ne puissent être nécessairement identifiés comme étant des dangers. A titre d’exemple, l’association du rythme et de la durée du travail peut constituer un risque psychosocial - comme notamment le stress - pour le travailleur. » Dit autrement, le risque ne dépend pas essentiellement de l’exposition à des « dangers » mais également à des « facteurs de risques » liés à l’organisation du travail, lesquels devant faire l’objet d’une « évaluation ». L’obligation de l’évaluation des « RPS » date donc bien de 2002 , et  leur prévention aussi ! Pour autant, cette définition est restée ignorée de nombre d’acteurs de l’entreprise. Il faudra attendre le rapport d’expertise sur la souffrance au travail dit « Rapport GOLLAC » pour qu’enfin une définition précise dissipe l’écran de fumée.

Les travaux d’épidémiologie montrent les effets des caractéristiques psychosociales du travail sur la santé physique. Il en est de même de certains travaux de psychologie, de psychiatrie et d’ergonomie. Les recherches en ergonomie, en sociologie et en économie convergent pour montrer que les causes organisationnelles qui ont des conséquences défavorables sur les conditions de travail physiques en ont aussi sur les conditions de travail psychologiques et vice versa. La gestion, la sociologie et l’économie, ainsi que certains travaux de psychologie et d’ergonomie, mettent en évidence leurs conséquences sur la santé sociale (insertion et bien-être social), composante de la santé selon l'Organisation mondiale de la Santé (Organisation mondiale de la santé, 1946).

Par conséquent, il convient de considérer que ce qui fait qu’un risque pour la santé au travail est psychosocial, ce n’est pas sa manifestation, mais son origine :

les risques psychosociaux seront définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. (extrait du Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail. Ce rapport dresse la liste des 6 « facteurs de risques ») voir le rapport

  Malgré tout: Le patronat, aidé par quelques « experts » complaisants, persiste à continuer d’utiliser le terme de RPS afin de mettre en avant de supposées « fragilités individuelles », afin que les mesures de préventions (obligatoires) ne se limitent qu’à des actions sur les individus (coaching, gestion du stress …) de façon à éviter la prévention primaire c’est à dire s’attaquer aux causes organisationnelles. Il faut comprendre que pour les employeurs, l’enjeu qui consiste à dissimuler les facteurs de risque ou leurs effets n’est pas seulement un enjeu de responsabilité mais bien un besoin qui relève de sa nature même, c’est la survie du système de profit par l’auto exploitation de la force de travail de (et par) chaque salarié qui se joue ici. En effet, la souffrance est consubstantielle des nouvelles méthodes de management misent en œuvre depuis quelques décennies. Ces dernières s’appuient sur trois techniques managériales qui consistent à :
  • L’individualisation des personnes et des résultats (mise en concurrence interne et externe par la sous-traitance, destruction des valeurs collectives du savoir faire et savoir faire ensemble et les professionnalités, exclusion des réfractaires et des moins productifs)
  • L’intensification du travail (suppression des temps morts, fixation d’objectifs sans référence à la réalité du travail, autonomie des actions et contrôle étroit du résultat)
  • L’instrumentalisation des esprits et des personnes (intégration du système de valeur et intériorisation des contraintes, report des contradictions de l’organisation du travail sur chaque salarié, réification des sujets en objets de production et de service, organisation de structures collectives précaires)
Ces stratégies d’emprise, qui ont pour effet d’arrêter la pensée critique, ont des conséquences inévitables sur la santé des personnes au travail, notamment sur leur santé mentale ; soit du côté de la souffrance vécue, de la souffrance éthique, soit des défenses inconscientes. La machine infernale est en place vers les pathologies psychiques avérées.  


La prévention des RPS

  Les risques psychosociaux sont des risques professionnels : Les risques professionnels sont définis comme étant : « La probabilité d’apparition d’effets plus ou moins importants sur la santé suite à une exposition plus ou moins longue à un danger ou à un facteur de risque » (définition INRS). La prévention est une obligation réglementaire imposée aux employeurs : Art L4121-1 du code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. » Art L 4121-2 du code du travail : « L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention … »
  • Supprimer les dangers ou les facteurs de risques (ou supprimer l’exposition) conduit donc à supprimer le risque et constitue la prévention primaire.
  • Réduire ou modifier l’exposition afin de diminuer la « probabilité » par des mesures appropriées (combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou qui est moins dangereux, planifier la prévention, prendre les mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelles) constitue la prévention secondaire.
  • Analyser un accident (traumatisme, suicide, etc…) afin d’en identifier les causes et prendre les mesures de prévention qui empêcherons qu’un tel cet accident ne se renouvèle ; constitue la prévention tertiaire.
Pour ASD-Pro, c’est avant tout la prévention primaire qui est seule susceptible de mettre fin aux risques psychosociaux : Autrement dit il s’agit de changer radicalement les formes d’organisations et de management actuels qui se fondent justement sur des objectifs de profits immédiats délétères pour la santé psychique des salariés. Or, pour qu’il y ait prévention il faut qu’il y ait eu « reconnaissance » que ces effets délétères sont bien la conséquence de ces organisations pathogènes. Et cette reconnaissance passe avant tout par la reconnaissance en accident du travail des évènements psychopathologiques (traumatismes psychiques, suicides etc..) ou en maladies professionnelle telles que l'anxiété, la dépression, le stress post traumatique. Il est malheureusement illusoire actuellement de penser que les entreprises s’engageraient dans des actions de préventions efficaces sans qu’il ne soit survenus au préalable de tels évènements ou pathologies ET que ces évènements ou pathologies ne soient reconnus en AT ou MP, car cette reconnaissance ( juridiquement appelé "imputabilité") conduit à des pénalités financières (augmentation des cotisations sociales ATMP). Ce sont ces pénalités qui incitent les employeurs à prendre des mesures de prévention.   Ce qu’ASD-Pro constate sur chacune de nos sollicitations, c’est qu’il existe un déni massif, immédiat et récurent de la part de toutes les directions des entreprises concernées par de tels évènements.   Ce déni patronal prend de multiples formes mais renvoie toujours à une soi disante « fragilité » de la victime, ou de son environnement personnel. Jamais nous n’avons constaté une reconnaissance immédiate et volontaire de la part d’un employeur.   Toutes les déclarations d’accident du travail pour lésion psychique, notamment les suicides, font l’objet de réserves ou de contestations de la part des employeurs. Cela en dit long sur leur volonté de reconnaître la réalité des RPS ! C’est donc par un travail d’analyse en profondeur que l’on pourra établir le lien avec le travail. Et c’est donc à partir de ce lien désormais établit et reconnu (par la sécurité sociale, ou par les tribunaux) que l’on pourra désigner les organisations délétères qu’il convient de transformer par de réelles mesures de prévention primaire. Sans cette analyse en profondeur, que notre association baptise « la clinique du travail », les mesures de préventions ne se limiterons, comme le souhaite le patronat, qu’à des placébos du style « qualité de vie au travail », ou pire encore « gestion du stress » ou « coaching » !

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