Une étude montre la place centrale du travail dans les gestes suicidaires
Une étude publiée en mars 2013 (M. Géhin et M. Raoult-Monestel, Archives des maladies professionnelles et de l’environnement) montre que dans deux tiers des cas, le geste suicidaire commis par un salarié est en lien avec son travail.
Cette enquête inédite par sa méthodologie et ses résultats, a consisté à mener des entretiens individuels auprès de 70 salariés, hospitalisés en unité de courte durée au CHU de Caen au décours d’un passage à l’acte suicidaire. La méthode employée reposait sur un questionnaire structuré comportant des items quantitatifs et qualitatifs, et décrivant le contexte vécu et le parcours professionnel : cette approche permet une analyse subjective de la situation de travail et de sa dynamique jusqu’au geste suicidaire, conformément aux apports de la psychodynamique du travail.
Dans 40% des cas, la situation de travail apparaît comme l’élément principal du geste suicidaire, et même comme son origine unique dans 20% des cas. Dans 70% des cas, il existe un événement déclenchant au passage à l’acte (dont 40% dans les 24 heures qui précèdent). Avec les réserves liées à l’échantillonnage, les passages à l’acte prédominent dans les secteurs santé-social et commercial.
L’analyse des questionnaires révèle dans la majorité des cas une histoire très longue et très construite de souffrance au travail. Après une période de 6 ans sans problème, en moyenne, un événement inaugural survient, qui transforme brutalement le vécu du travail. Apparaissent alors des sentiments de perte de valeurs, d’injustice, de trahison, d’abandon, de dévalorisation, de culpabilité… : l’identité est atteinte par la perte du sens de la situation de travail elle-même. Les mécanismes de défense mis en place visent à « tenir coûte que coûte » : la rationalisation, puis l’isolement, la fuite, l’évitement… ces mécanismes successifs mènent à l’effondrement, et au passage à l’acte. Les facteurs décompensateurs sont principalement : les conflits avec la hiérarchie, les réorganisations, les conflits de valeur (souffrance éthique).
A contrario, les facteurs protecteurs sont principalement : un collectif porteur, un travail épanouissant, un travail qui occupe voire qui permet de ne pas penser. La prévention du geste suicidaire en lien avec le travail pourrait passer par des entretiens les plus précoces possibles dans les situations de souffrance au travail, permettant au salarié de retrouver un sens à la situation qu’il traverse voire de modifier son état psychologique, point de départ possible d’une reconstruction de son identité dans les cas les plus graves.
A travers cette étude sans précédent, est finalement confirmé le rôle central du travail comme protecteur ou décompensateur de l’équilibre psychologique.