La lutte déterminée paie toujours : première victoire pour Denise et Daniel Kieffer suite au suicide de leur fils à l’ESA !

Le droit à l’immunité judiciaire de ces organisations remis en cause.

 

Comme nous l’avions déjà dénoncé dans d’autres articles parus sur notre site (articles du 5 octobre 2014 et du 16 octobre 2020), l’Agence Spatiale Européenne bénéficie, comme toutes les organisations intergouvernementales européennes, d’un droit à l’immunité judiciaire faisant d’elles des zones de « non droit ».

Grâce à la détermination des parents de Philippe Kieffer, victime d’un management brutal et d’une non assistance malgré qu’il soit en grave danger, ce droit a été remis en cause. Comme l’explique l’article de Médiapart (du 12 février 2024), et celui du Monde (4 février 2024), la Cour d’appel de Paris vient enfin de donner raison à ses parents qui réclament justice depuis le suicide de Philippe, en décembre 2011.

Jusqu’à présent, l’ESA attaquée avait pu faire valoir l’existence d’un recours interne qui avait donné raison aux parents Kieffer : oui, leur fils s’était bien suicidé à cause de son travail, mais si ce recours leur donnait droit à une indemnité assurantielle, il ne reconnaissait en rien que Philippe avait été maltraité et non protégé par son employeur. La cause professionnelle du décès n’était donc pas reconnue, évitant ainsi aux managers et dirigeants, tout risque de se voir reprocher des méthodes pourtant dénoncées par ailleurs, et mises en évidence dans un audit interne. Un audit auquel n’ont pu avoir accès ni les parents, ni les juges saisis pour « harcèlement moral », « homicide involontaire » et « non assistance à personne en danger ».

C’est ce droit absolu, cette immunité, que les parents toujours déterminés à avoir accès à la justice, ont attaqué et pour une première fois, un tribunal leur donne fait et cause. La Cour d’appel de Paris a en effet considéré que les parents n’avaient pas eu accès à un droit « équitable ».

Et pour cause ! Depuis ce terrible suicide, les parents de Philippe ont dépensé toute leur énergie (et leurs économies) pour obtenir ce droit à la justice pénale : car c’est bien ce droit qui leur est refusé, les tribunaux saisis jusque là considérant, comme l’ESA le prétend, qu’ayant eu droit à la justice civile (reconnaissance que Philippe s’était suicidé à cause de son travail, avec l’indemnité qui va avec), justice leur avait été rendue, et les tribunaux considéraient normal que l’ESA fasse valoir ses droits à l’immunité pour éviter d’autres poursuites judiciaires, pénales cette fois.

Or, le harcèlement, la maltraitance professionnelle, est un délit potentiellement pénal, pas seulement civil, comme tous les risques professionnels auxquels un salarié peut être exposé.

La demande des époux Kieffer est donc légitime et il est temps, maintenant, qu’un juge puisse investiguer leur demande, et puisse, pour cela, avoir accès à l’ensemble des documents et témoins de cette affaire. En toute liberté, ce qui suppose la levée de l’immunité, ce que la Cour d’appel de Paris rappelle en substance : les époux Kieffer n’ont pas eu accès à un procès équitable car ils n’ont pas eu de voie de recours permettant que soit examiné le refus de l’ESA de lever l’immunité. Les arguments avancés par l’ESA pour justifier ce refus de levée l’immunité consistaient à faire valoir leur volonté de « coopérer » au travail de la justice, mais en oubliant que cette volonté s’était résumée à l’acceptation d’être entendu par le juge français saisi de l’affaire, tout en faisant valoir l’immunité pour refuser tout accès aux documents internes (notamment le dossier administratif de Philippe Kieffer, et le CR de deux audits internes, un réalisé avant le suicide car existaient de nombreuses situations de souffrance professionnelle et l’autre audit réalisé après son suicide. Documents dont nous connaissons l’existence, mais pas le contenu…).

Le combat de Denise et Daniel Kieffer n’est pourtant pas arrivé à son terme. D’une part parce que ce jugement n’oblige pas l’ESA à lever l’immunité, et d’autre part, parce que l’ESA qui considère toujours avoir pleinement coopéré avec les autorités judiciaires, s’est pourvu en cassation.

Cette décision de l’ESA est un nouveau coup porté aux parents en quête de justice : pour eux, « C’est de l’acharnement… Ils vont en cassation pour que les responsables de la mort de Philippe ne soient pas jugés ».

Ce jugement de la Cour d’appel est pourtant une première pierre visant à rétablir de vrais droits dans cet espace européen et ces organisations intergouvernementales. Car bien d’autres sont victimes de ces immunités qui rendent les responsables « intouchables »… ASDpro soutient la famille Kieffer en ayant conscience que ce problème concerne bien d’autres victimes (lire à ce sujet, les articles de Teresa Pultarova).

Le combat de Denise et Daniel nous concerne donc tous et nous relayons leur appel « aux parlementaires français et européens, aux syndicalistes, aux avocats et aux associations qui défendent les valeurs de la République », au nom d’une justice à laquelle chacun-e doit pouvoir accéder.

Dans ces conflits de travail, l’immunité de ces organisations internationales n’a pas lieu d’être.

Le droit au sein de ces organisations doit être totalement revu : Règlement intérieur qui ne reconnaît pas le risque de harcèlement professionnel, Tribunal interne avec des juges choisis et payés par les dirigeants de ces organisations, absence de recours aux décisions et jugements rendus, pas de possibilité de contester le refus de lever l’immunité.

Revoir ces dispositifs relève de la responsabilité des instances européennes et nationales dès lors que des salarié-e-s français-e-s sont potentiellement concerné-e-s.

Pour en savoir plus, lire nos articles précédents. Voir également le film de Daniel Kupferstein, « Souffrance au travail, On lâche rien ! » dans lequel Denise et Daniel Kieffer racontent ce drame et leur combat depuis.