France-Télécom Orange : Le harcèlement institutionnel est reconnu, Les responsables sont condamnés. MAIS DES BATAILLES RESTENT À MENER !

Une peine allégée pour les condamnés, mais pas pour leurs victimes [1] !

Même si l’on regrette l’allègement des peines prononcée par la cour d’appel L’association ASD-Pro, partie civile du procès, se félicite de la confirmation de la condamnation des ex-dirigeants d’Orange et de leurs méthodes de management harcelantes et brutales.

Cette condamnation montre aux autres dirigeants des entreprises pratiquant ce même type de harcèlement institutionnel ce qui les attend.

Pourtant cette condamnation pénale ne doit pas cacher le fait que des milliers de victimes qui ont eu à subir les conséquences de ce harcèlement dans leur chair ou celle de leurs parents, restent à ce jour toujours des victimes non reconnues par le droit de la sécurité sociale et celui de la fonction publique.

La grande majorité des suicides, et l’immense majorité de toutes les pathologies de souffrance endurée ne sont toujours pas reconnues en accident du travail ou en maladie professionnelle (ATMP, ou leurs équivalents dans la fonction publique) et leurs séquelles toujours sans indemnisation sous forme de rente.

Les indemnisations du préjudice moral obtenues par les parties civiles et par les 1800 situations traitées après le procès indemnisent le délit pénal mais laissent de côté le caractère « professionnel » des souffrances, celui qui indemnise l’accident du travail et la maladie professionnelle ; ainsi que la faute inexcusable de l’employeur, celle qui indemnise au-delà d’une rente, tous les préjudices.

Une telle reconnaissance pour les milliers de victimes de France Télécom aurait couté à la société Orange bien plus cher que les indemnisations accordées.

Car sur ce plan-là il reste encore beaucoup de combats à mener dans toutes les entreprises, auprès des organismes chargés de la reconnaissance ATMP et auprès des élus pour changer les textes actuels :

A titre d’exemple, la présomption d’imputabilité (qui date de 1898 dans le régime général et 2014 dans la fonction publique) nécessite que l’accident ait lieu sur le lieu et durant le temps de travail. Cette double condition est pourtant remise en cause aujourd’hui par Santé Publique France[2] qui préconise, pour les suicides que :

« Doit être considéré?comme suicide en lien potentiel avec le travail, tout suicide pour lequel au moins une des situations suivantes était présente :

1. La survenue du décès sur le lieu du travail, pendant et en dehors des horaires de travail ;

2. Une lettre laissée par la victime mettant en cause ses conditions de travail ;

3. Le décès en tenue de travail alors que la victime ne travaillait pas ;

4. Le témoignage d’un proche ou d’un témoin mettant en cause les conditions de travail de la victime ;

5. Des difficultés connues liées au travail, recueillies auprès des proches ou auprès des enquêteurs (policiers, gendarmes) : contexte de perte d’emploi, conflit avec ses collègues ou sa hiérarchie, contexte d’épuisement professionnel, difficultés connues dans l’entreprise »

En ce qui concerne les accidents du travail ; la sécurité sociale ainsi que la fonction publique exigent toujours la survenue d’un évènement précis et daté du jour de l’évènement.

Or la Cour de cassation a une interprétation différente. Déjà dans une décision du 2 avril 2003, la Cour avait élargi la notion d’accident du travail en estimant que l’origine de la lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci, pouvait résulter d’un évènement ou d’une série d’évènements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail.

Mais dans sa décision du 9 juillet 2015 (chambre civile 2 N?14-22227), la cour va plus loin et indique désormais que :

« L’accident du travail peut provenir d’une usure progressive au travail, découlant d’un rythme épuisant, de responsabilités lourdes et de reproches dans le travail ; qu’en exigeant la survenance d’un évènement particulier survenu les jours précédant le décès (ou l’accident NDLR) de nature à perturber fortement la victime ou à provoquer un choc psychologique, la cour d’appel a méconnu les dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité?sociale ».?

Ainsi donc, la posture de la sécurité sociale et celle des administrations contredisent clairement la jurisprudence, ainsi que Santé Publique France ; En effet, les Caisses Primaires comme les administrations persistent à exiger des critères obsolètes, infligeant aux victimes d’une maltraitance professionnelle, une nouvelle maltraitance cette fois-ci administrative en les contraignant à s’engager dans des démarches juridiques longues et coûteuses et espérant ainsi qu’elles abandonnent.

Les victimes se voient ainsi confrontées à un double déni : celui des employeurs et celui des organismes du régime général et de la fonction publique, chargés de la réparation.

Par ailleurs, concernant les maladies professionnelles, il n’existe toujours pas de tableau sur les pathologies psychiques et le système d’indemnisation (réparation ATMP) n’est toujours que forfaitaire et ne couvre pas l’intégralité des préjudices.

Alors oui, la condamnation des ex-dirigeants de France télécom ainsi que l’entreprise Orange est un succès. Cette condamnation pénale a un fort impact symbolique contre le sentiment d’impunité patronale, et de fatalisme chez les salarié.es.

Elle ne saurait toutefois faire oublier une autre arène pour porter la bataille : celle de la réparation prévue par la protection sociale, financée uniquement par les employeurs où les montants de réparation y sont autrement plus dissuasifs, et qui constitue la principale incitation à une véritable prévention des risques professionnels.


[1] La cour d’appel a allégé les peines passant d’un de prison dont 4 mois fermes à un an assorti du sursis total pour les deux premiers responsables (Lombard et Wenès) et relaxe deux complices ; et la cour infirme  le jugement de première instance quant aux dommages et intérêts pour les parties civiles constituées au fond après l’ordonnance de renvoi, ainsi que pour le dédommagement de certaines victimes…

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-liees-au-travail/souffrance-psychique-et-epuisement-professionnel/documents/enquetes-etudes/surveillance-des-suicides-en-lien-potentiel-avec-le-travail