Chez Orange, la souffrance professionnelle n’est pas éteinte
Le procès en appel dit des suicides à France Télécom vient de se clôturer. Le jugement sera rendu le 30 septembre 2022.
Le jugement en première instance avait condamné, en 2019, l’entreprise et ses dirigeants de l’époque, dont Didier Lombard, le PDG, donnant un statut juridique – pour la première fois depuis l’histoire du travail – au délit de « Harcèlement institutionnel » ou harcèlement organisationnel.
Pour ASDpro, ce procès en appel à l’initiative des dirigeants, révèle à quel point l’entreprise a été dans le déni, l’a organisé soigneusement, et continue de l’être.
En effet, si l’entreprise Orange n’a pas fait appel de cette condamnation et reconnaît ainsi la souffrance des salariés et fonctionnaires, c’est sans admettre, accepter et intégrer le fait que c’est l’organisation délétère et délictueuse mise en place par Lombard & Cie, qui en est à l’origine.
C’est ainsi qu’Orange a « fait le geste » d’indemniser les agents du groupe qui se sont considérés victimes de ce harcèlement institutionnel, volontairement mis en place à l’époque pour faire sortir les agents fonctionnaires « par la porte ou par la fenêtre », comme l’a dit si élégamment Didier Lombard à l’époque. Mais c’est sous la pression syndicale que ces préjudices ont été versés dans le cadre d’une Commission d’indemnisation. Mille quatre cents personnes ont ainsi pu bénéficier d’une indemnisation de quelques milliers d’euros, alors que mille huit cents en ont fait la demande.
France Télécom / Orange a donc été condamné et il existe désormais pour toute personne ou organisation, la possibilité d’invoquer un harcèlement organisationnel. C’est une grande victoire qu’ASDpro savoure comme toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce procès.
Pour autant, le personnel d’Orange est-il désormais à l’abri de toute souffrance professionnelle ? L’entreprise a-t-elle tiré un enseignement, utile à la prévention des RPS ?
La réponse d’ASDpro est non. Assurément non.
En effet, Orange a versé quelques oboles à ces victimes qui se sont saisis de cette Commission voulue par l’ensemble des syndicats. Mais Orange n’a tiré aucun enseignement utile à la prévention, et de ce fait, la souffrance professionnelle ne s’est pas éteinte, comme suite logique de ce procès et cette condamnation, rediscutée à l’occasion de ce procès en appel. Les prévenus, eux, n’ont pas bougé d’un iotat : les mêmes arguments, la même arrogance à dire et redire que « s’il fallait le refaire, ils le referaient… ». La même logique aussi : « on ne savait pas », « on n’avait pas demandé ça aux managers »… autant d’arguments qui en disent long sur l’absence de réel enseignement tiré…
Car, finalement, Orange a certes indemnisé après avoir essuyé une condamnation qui ne concerne pas réellement l’entreprise d’aujourd’hui. C’est celle d’hier qui a été mise en cause.
Mais en termes de Reconnaissance du caractère délétère de l’organisation, combien de victimes et ayants droits ont finalement obtenu reconnaissance objective de l’entreprise ? Sur les 39 suicides et dépressions graves décrits dans le rapport Catala, à l’origine de la plainte déposée par les syndicats : combien de reconnaissances Accident du Travail (ou Accident de Service, pour les fonctionnaires) ? combien de reconnaissances Maladie Professionnelle (ou Maladie contractée en service) ?
Combien parmi les 120 parties civiles qui se sont ajoutées aux victimes retenues par le Tribunal ? Combien parmi les 1.400 indemnisés par la Commission d’indemnisation ?
Etant donné la politique d’organisation du déni, nous ne pouvons que craindre que peu aient été reconnus formellement victimes de leur travail.
Qui plus est, notre association peut témoigner de nouvelles demandes d’Orange étant donné que de nouveaux suicides se sont produits, dont certains durant ce procès en appel… Une manière, on ne peut plus explicite, de faire savoir que si les choses ont changé chez Orange, l’organisation reste délétère et harcelante au point d’en perdre sa vie.