« Burn Out », quels sont les enjeux qui se cache derrière ce débat ?

L’actualité sur le Burn out est riche en évènements : reportages, pétitions, articles, réunions publiques, propositions de Loi, amendements divers etc….

La plus récente est le dépôt d’une proposition de Loi  , abandonnant la revendication de création d’un tableau ( dixit : en raison du « refus patronal ») et proposant la suppression de l’obligation d’un taux d’IPP supérieur à 25%. Dès le dépôt de cette proposition de Loi la ministre de la santé annonçait la mise en place d’un groupe d’experts pour “définir médicalement le burn-out” ! En déclarant notamment « Benoît Hamon a raison d’alerter sur ce sujet, mais avant d’en faire une maladie professionnelle, il faut définir ce que c’est que cette maladie ».

De son coté l’Académie de médecine a pour sa part réclamé dernièrement davantage de recherches sur le burn-out, « un concept flou non reconnu à ce jour comme une pathologie médicale, alors même qu’il donne lieu à des symptômes désormais connus comme l’épuisement émotionnel ou la dépersonnalisation ».

Hasard du calendrier ou opération politique ?

Dès le lancement de diverses pétitions réclamant la création d’un tableau sur le Burn Out, notre association a indiqué ses réticences et montré les dangers que recèlent, en l’état, la création d’un tel tableau (1, 2).

On peut légitimement s’interroger sur le but de ces initiatives convergentes : définir le Burn out à partir de l’épuisement émotionnel ou la dépersonnalisation dans le but de créer un tableau sur ces seuls éléments, conduirait en l’état à ne pouvoir l’appliquer qu’à un nombre très restreint de victimes de souffrances au travail et pour la grande majorité aux seules catégories sociales supérieures (cadres, professions libérales…) les autres seront priés de s’adresser aux CRRMP et de faire la démonstration du lien direct et essentiel entre leur pathologie (qui peuvent dans la plupart des cas ne pas être liée ces symptômes), et leur travail. Encore une fois le Burn-out est défini par deux caractéristiques, l’épuisement émotionnel ou la dépersonnalisation, dont on ne comprend pas si elles prétendent définir les facteurs de risques professionnels qui sont alors selon nous beaucoup trop limités,  ou empêcher de nommer les effets psychopathologiques de ces expositions qui sont la dépression réactionnelle professionnelle, l’anxiété généralisée, ou l’état de stress post-traumatique.

En presque dix années d’existence, notre association a traité des centaines de cas dont une très faible minorité (à peine 5%) relevaient de ces symptômes d’épuisement ; la très grande majorité relevaient de pathologies liées au manque de soutient social, aux conflits de valeurs, au travail empêché, à l’insécurité de l’emploi, aux diverse formes de violence au travail, au manque de reconnaissance etc….

Un article récent du 9 février parut dans la « semaine juridique » montre bien les problèmes que posent la création d’un tableau sur le burn out. Il décrit la complexité des procédures actuelles et la difficultés pour les personnes à faire valoir leurs droits : dès 2008 notre association a elle-même montré l’ampleur de ces obstacles et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’est crée.

L’auteure de cet article repousse l’idée de la création d’un tableau sur le Burn Out et propose plutôt des « ajustements techniques » qui « permettraient aux CRRMP, clé de voûte du dispositif de reconnaissance complémentaire des maladies professionnelles, d’exercer pleinement ses prérogatives en toute connaissance de cause ». Dans l’article ces « ajustements » concernent notamment la composition des CRRMP et leur mode de fonctionnement (entendre la victime, formaliser les arguments de l’avis prononcé au regard du dossier,…) et l’abaissement de l’obligation des 25% d’IPP. Notre association ne peut que souscrire à ces demandes qu’elle formule d’ailleurs depuis longtemps.

Abandonner la demande d’un tableau sur le Burn Out, oui, mais le remplacer comme le propose l’auteure de l’article, au profit d’un jugement essentiellement médical pouvant être différent suivant les CRRMP et devant établir le « lien direct et essentiel », pose de vrais problèmes.

Si cela améliorerait sans doute un peu le nombre de reconnaissances, le parcours pour les victimes n’en sera pas moins long et semé d’embûches. De plus cette disposition abandonne le fondement premier de la reconnaissance des pathologies professionnelles, à savoir la présomption d’imputabilité.

Nous réaffirmons qu’un tableau sur « les pathologies psychiques causées par l’organisation du travail » est nécessaire :

En effet, seuls les tableaux prévoient cette présomption d’imputabilité, la victime n’a pas à faire la démonstration du lien entre son travail et sa pathologie. N’oublions pas que la « contrepartie » de cette disposition est que la rente attribuée est égale à la moitié du taux d’IPP. Et en cas de reconnaissance par le CRRMP cette disposition demeure malgré le fait que la victime doive démontrer le lien direct et essentiel !

Seule l’obtention de la faute inexcusable de l’employeur (FIE) permet réparation totale par le doublement de la rente. Il est néanmoins à souligner que cette possibilité n’est offerte qu’aux salariés du privé, la fonction publique en est exclue.

Autrement dit, la proposition de l’auteure de l’article, comme celle de Benoît Hamon, abandonne les termes du « compromis historique » pour les pathologies psychiques et de plus ne changera rien pour des millions de salariés, ceux dont les pathologies ne relèvent pas des symptômes du Burn out et ceux de la fonction publique. En effet, dans la fonction publique la nécessité d’une IPP à 25% n’est déjà pas obligatoire, de plus il n’y a pas de CRRMP mais des « commissions de réforme » qui ne sont que consultatives et bien souvent incompétentes, et la décision revient en dernier ressort à l’administration. Seule la présomption d’imputabilité des tableaux de MP permet de « passer outre » le bon vouloir de l’administration.

Abandonner la présomption d’imputabilité pour les pathologies psychiques c’est aussi ouvrir la voie pour les autres pathologies… le grand rêve du patronat : supprimer la présomption d’imputabilité pour toutes les maladies professionnelles en conservant la division par deux de la rente à attribuer.

Notre association maintient donc sa demande de création d’un tableau de pathologies psychiques en abandonnant la référence au Burn out. Elle soutient toutes les initiatives visant à la suppression des 25% d’IPP du régime général et à intégrer aux CRRMP et aux commissions de réforme dans la fonction publique des compétences en psychopathologie du travail et non simplement en psychiatrie car les psychiatres cliniciens ne sont pas tous, loin s’en faut, des spécialistes des pathologies professionnelles psychiques.

Les éléments d’un tel tableau :

Tout d’abord la création d’un tableau de maladie professionnelle est du ressort du Parlement après consultation des partenaires sociaux, ou directement du ressort de l’Etat par voie de projet de Loi.

C’est donc une disposition politique et non pas du seul ressort des médecins ou des juristes. D’ailleurs le refus actuel du patronat se fonde bien sur des considérations politiques et non sanitaires ou juridiques.

Certes la notion de présomption d’imputabilité n’obligeant pas à faire la démonstration du lien entre la pathologie et le travail peut paraître « extraordinaire » pour ceux qui ignorent la contrepartie en terme de rente attribuée ou qui n’ont jamais été eux-mêmes confrontés aux difficultés et à la longueur des dispositifs de reconnaissances complémentaires.

Ce sentiment peut être renforcé par la complexité des pathologies psychiques dont la nature et l’origine peut être interprétée de façons très différentes. Le lien entre la sphère professionnelle, la sphère privée et l’histoire personnelle est évidemment plus complexe pour les pathologies psychiques. Dans la plupart des cas d’ailleurs lorsqu’un problème de cette nature survient, l’entourage, la direction de l’entreprise, parfois même des professionnels de santé, se demandent tout de suite si la personne n’a pas, ou n’avait pas en cas de suicide, de « problèmes personnels ». Avant d’interroger le travail, beaucoup de monde se borne (ou à intérêt) à interroger la responsabilité de la victime. Et comme la plupart du temps les difficultés du travail se reportent sur la sphère privée il est facile d’y trouver là des « explications », ce qui conduit à abandonner la question du travail.

Ce n’est donc pas de cette façon qu’il faut aborder la question : il ne faut pas partir de l’individu mais partir du travail.

La présomption d’imputabilité se fonde sur le caractère pathogène du travail et non pas sur les caractéristiques psychiques, voir génétiques, des individus.

Certains aujourd’hui, et notamment le projet de Loi sur la réforme de la médecine du travail, veulent renverser la problématique en mettant avant les « fragilités personnelles » ou les « prédispositions » afin de remettre en cause tout lien possible avec le travail et d’autres veulent même interdire aux médecins de délivrer des certificats en attestant. On le voit l’offensive contre les principes de reconnaissance est bien avant tout politique.

La construction des tableaux de maladie professionnelle se fait à partir d’études épidémiologiques ou de travaux de recherches scientifiquement établis et validés (comme le recommande l’Organisation Internationale du Travail).

Or dans le cas des psychopathologies du travail, de telles travaux existent ! Certains ont même été commandés et validés par le ministère du travail.

C’est le cas de l’étude menée par le collège d’expertise sur les risques psychosociaux (lien) : ce rapport évoque 6 facteurs de risques  professionnels dont l’exposition à ces facteurs provoque un risque avéré de pathologie psychique liée au travail (tout comme l’exposition au plomb provoque un risque avéré de saturnisme).

Par ailleurs, d’autres études ou rapports évoquent les pathologies concernées (lire ici) ainsi que leurs diagnostics clinique.

Il existe donc d’ores et déjà tous les éléments permettant de construire un tableau des pathologies psychiques relatives à l’exposition aux facteurs pathogènes relevant de l’organisation du travail. Reste à définir les conditions d’exposition ou la durée d’exposition ou d’apparition de la maladie (la seconde colonne du tableau), ce qui ne saurait pas en soi constituer un véritable obstacle.

En dernier lieu : la création d’un tableau serait-elle propice à une meilleure prévention par les employeurs?

L’ex ministre du travail cité par l’auteure de l’article semble en douter et l’article se réfère à l’exemple de l’amiante : l’existence du tableau 30 n’a pas selon l’auteure conduit durant des années à la mise en œuvre de mesure efficaces de prévention. Il aura fallut dit-elle attendre l’interdiction et surtout la jurisprudence de 2002 pour que les victimes obtiennent une reconnaissance judicaire. C’est un peu vite oublier le fait que les pathologies liées à l’amiante sont à effet stochastique et donc n’apparaissent que des années plus tard et que ce n’est pas faute d’avoir alerté des risques bien des années avant 2002, face à un patronat et des gouvernements qui s’obstinaient à promouvoir un « usage contrôlé » de l’amiante.

Nous pensons donc à l’inverse que la création d’un tableau de pathologies psychique, instituant une présomption d’imputabilité, permettant ensuite le cas échéant d’obtenir la reconnaissance en faute inexcusable, dans la fonction publique, l’idée de « carence fautive » (avancée par le cabinet d’avocats Teissonnière) fait son chemin pour une réelle réparation des préjudices lorsqu’il est avéré que l’administration n’a pas respecté ses obligations de sécurité et de résultat, constituerait un moyen de pression financier important pour contraindre les employeurs et l’Etat à mettre en œuvre de réelles mesures efficaces de prévention. Et nous pensons que ces mesures sont possibles dans toutes les entreprises.

Alors que certains s’obstinent à brouiller le problème autour de la question du Burn Out, que d’autres tentent d’élever des murs infranchissables pour éviter tout lien entre le travail et la maladie, il est grand temps de reposer les termes du débat. Les offensives actuelles du conseil de l’ordre des médecins contre les certificats médicaux, du gouvernement contre la médecine du travail et du patronat contre les principes de reconnaissance procèdent du même objectif : remettre en cause les fondements réglementaires et les principes régissant la santé au travail et la réparation.

Les risques psychosociaux ne sont qu’une partie de leurs objectifs de destruction massive du droit du travail.